1996 VÉLICOVICK : LA PEINTURE À VIF

« L’ensemble des procédés d’un art est indissociable de ses motivations. »
Vladimir Vélicovick

Qui se risque à contempler une œuvre de Vladimir Vélicovick sera confronté à une vision souvent insoutenable. Ce choc est-il seulement dû à la représentation peinte, ou bien, plus profondément, nous renvoie t-il aux recoins troubles de notre conscience, ceux qui par exemple nous incitent à revenir contempler ces œuvres dérangeantes, et à en éprouver une fascination mêlée d’effroi ? La force de ces œuvres monumentales est telle qu’on en viendrait presque à oublier qu’on est face à des images qui, comme telles, sont produites par une technique ô combien déterminante dans la sensation dramatique qui s’en dégage. C’est pourquoi il me semble intéressant d’aborder en détail cette dimension du travail de Vélicovick.

LES SOURCES

La fréquentation des grands maîtres du dessin : Dürer, Vinci, Michel Ange, Goya est décisive. L’influence du surréalisme est sensible en particulier les dessins de Hans Bellmer ou André Masson. Mais si chez les surréalistes le motif de l’Acéphale, symbolise le rejet d’un rationalisme étroit, les personnages de Vélicovick – déca­pités ou non – participent d’une drama­turgie autrement plus sombre. L’anatomie issue de la photographie occupe une place prépondérante, d’une part dans les documents médicaux abondamment utilisés, et puis avec le motif récurrent de l’homme de Muybridge. On notera que le recours à la photographie ne produit nullement cet effet statique, inerte qui caractérise tant d’utilisations littérales de ce médium par les dessinateurs de ce siècle. Enfin dans l’importance donnée aux lieux, ainsi que l’usage des signes ou de coordonnées chiffrées, on se rappellera que Vélicovick fut étudiant en architecture.

APOLOGIE DU DESSIN

C’est peu de dire que l’œuvre entière est basée sur le dessin, elle en constitue bel et bien un manifeste. « La peinture est une sorte d’extrait du dessin. » affirme l’artiste, en inversant les rôles traditionnellement dévolus à l’un et l’autre. On constate effectivement une réduction du langage de la peinture vers celui du dessin : l’utilisation du noir et blanc, une palette quasiment monochrome, la prédominance expressive du trait. Cette économie de moyens n’est pas dictée par un programme de type conceptuel ou minimaliste mais correspond à une recherche de l’efficacité maximale, en vue de produire une peinture fortement expressive :
« L’important est que d’une image puisse émaner une force qui fasse réfléchir sur certaines choses. »
Cette force ne réside pas exclusivement, comme on pourrait le penser, dans le choix des motifs. Le moindre trait de Vélicovick semble doué de mouvement, témoigner de cette urgence, de cette obsession de la vitesse. Nerveux, impulsif, tendu : ces adjectifs qui qualifient l’œuvre dans son ensemble, concerne déjà le trait même du dessinateur. Cette tension de la ligne provoque la tension du motif : hommes ou animaux surgissent, s’empres­sent mais pour quelle destinée ?

LA MAÎTRISE DU FOND ET DE LA FORME

Il est frappant de constater l’opposition radicale dans le traitement plastique entre le fond et la forme, et combien cette opposition crée une tension dynamique essentielle à la réussite du projet de l’artiste. Sur la toile même les outils du dessin se mêlent à ceux de la peinture. Ainsi l’utilisation de la craie répond à cet impératif :
« J’ai besoin d’un trait tranchant, net, rapide, difficile à obtenir avec un pinceau. »
Ce trait incisif, coupant et précis comme le scalpel du chirurgien est mis en valeur par le travail du fond, cette fois réalisé par de larges aplats de peinture sombre. La peinture, comme surface, vient servir d’écrin aux formes dessinées. Autant les protagonistes sont agités, “mouvemen­tés” (c’est à dire mus de l’intérieur par une impulsion dont la finalité les dépasse), autant l’espace où ils évoluent semble inerte. Ainsi l’illusion du mouvement, de la vitesse est produite par cet affrontement entre des figures dynamiques et un espace, tantôt écrin vide, sorte de non lieu, tantôt lieu de la mesure, hyper étalonné au moyen de chiffres et de coordonnées diverses.

L’ART DE LA RÉSERVE

« Je n’ai jamais considéré ma peinture comme morbide, malsaine. »
La peinture n’est pas un fauteuil confortable déclare l’artiste en paraphrasant Matisse. Toutefois l’art et la peinture sont des artifices, et Vladimir Vélicovick n’oublie pas de nous le rappeler, par delà sa grande maîtrise des moyens du dessin et de la peinture. On constate dans de nombreux tableaux, une part d’inachevé où la toile est visible, en réserve. Quel est le sens de ce lieu dans le tableau qui dénonce tout ce que les moyens illusionnistes ont patiemment mis en œuvre pour choquer le spectateur, le faire sortir de sa réserve, justement. La réserve semble fonctionner à plusieurs niveaux : elle n’est jamais laissée au hasard et participe à l’harmonie de la composition en jouant un grand rôle esthétique, par ailleurs elle apparaît comme une dénonciation de l’artifice illusionniste et enfin joue un rôle symbolique revendiqué par l’artiste :
« Je laisse toujours un blanc sur les marges de mes toiles qui est une issue, un exit. »